Rebetiko

© Mara Kyriakidou

Fable sociale pour objets et marionnettes réalisée par l’Anima Théâtre, écriture Panayotis Evangelidis, mise en scène Yiorgos Karakantzas, musique Nicolo Terrassi, au Mouffetard/Théâtre national de la Marionnette.

C’est l’histoire d’une vieille femme qui se souvient de son enfance. L’Histoire, la grande Histoire, lui vole ses parents quand elle a dix ans et que la ville est en feu, elle, réussit à s’enfuir à bord d’une petite embarcation. On suit son odyssée, à travers risques, dangers et espérances, en compagnie du jeune garçon qu’elle rencontre et qui devient un compagnon de route, tentant de la protéger. Après le naufrage de leur bateau, ils se retrouvent dans un camp de réfugiés avant d’être séparés, puis de se retrouver, en final, au fond de deux poubelles. Un second parcours se joue en parallèle, celui de la grand-mère menant une vie paisible avec son petit-fils, sauvant un jour de la police une jeune fille de couleur qu’elle accueille chez elle. Le troisième élément est celui des références littéraires et cinématographiques.

© Mara Kyriakidou

Tissant des passerelles entre le passé et le présent, Rebetiko est un spectacle sans paroles basé sur des images d’archives et sur l’histoire des deux grands-mères du metteur en scène, Yiorgos Karakantzas qui, comme une part importante de la population grecque juive arménienne, durent en 1923 fuir le pays et s’exiler. Sa grand-mère maternelle avait quitté le quartier grec de sa ville de Smyrne (Turquie), en proie aux flammes, elle n’en parlait pas. Les images, les figurines, l’univers plastique et l’environnement musical racontent l’exil et font fonction de narrateurs.

Les marionnettes sont de belles sculptures portées à la manière du bunraku, manipulatrices vêtues et cagoulées de noir, ou cachées en arrière-plan quand les figurines évoluent dans un petit castelet central (manipulation : Irene Lentini et Magali Jacquot). Demy Papada et Dimitris Stamou du Merlin Puppet Theater fondé à Athènes en 1995, installé à Berlin depuis une dizaine d’années, ont construit les marionnettes et ont été associés à la création du spectacle sur lequel ils ont apporté leur regard expérimenté.

© Mara Kyriakidou

Le théâtre d’ombres, les projections vidéo et d’images holographiques travaillées par Shémie Reut, réalisateur spécialiste en effets spéciaux virtuels pour le cinéma, utilisent ici une technique de prestidigitation basée sur l’illusion optique – la technique du fantôme de Pepper : une plaque semi-réfléchissante en verre métallisé ou film plastique positionnée à 45° et combinée avec des techniques d’éclairage particulières, permet de faire croire que des objets apparaissent, disparaissent ou deviennent transparents, ou qu’un objet se transforme en un autre. C’est dire la dimension et la force que prennent les images ici dédoublées, habilement insérées dans le dispositif et équilibrées par la mise en scène, pour ne jamais faire disparaître les marionnettes qui évoluent comme dans un décor cinématographique en mouvement (création de la structure : Sylvain Georget et Patrick Vindimian, assistés de Mara Kyriakidou ; création lumières Jean-Louis Floro). L’action se déroule entre le miroir et l’écran, conférant à l’ensemble un côté résolument onirique.

© Mara Kyriakidou

La musique in situ et l’environnement sonore de Nicolo Terrassi, compositeur né à Palerme, complètent le voyage, à partir d’une laterna aux échos métalliques placé côté jardin d’où le musicien officiela laterna est une sorte de piano mécanique né à Constantinople au XIXe siècle et qui a voyagé jusqu’en Grèce – « Je pense le rebetiko comme l’essence et le parfum de l’odyssée que je veux raconter : né de l’arrivée en Grèce des réfugiés des côtes de l’Asie mineure, interdit sous la dictature des Colonels, exilé jusqu’aux États-Unis et l’Australie avec les immigrés, un chant de survivants et de diaspora » dit Yiorgos Karakantzas. Enracinée dans les sources du Rebetiko, la création musicale ponctue cette fresque, en fait si contemporaine.

Anima Théâtre est né en 2004 à Marseille de la rencontre entre Yiorgos Karakantzas et Claire Latarget faite cinq ans plus tôt à l’École nationale supérieure des Arts de la Marionnette fondée par Margareta Niculescu. La troupe a maintenant posé ses tréteaux à Marseille et Claire Latarget est artiste et auteure indépendante. Créé en 2020, Rebetiko est un spectacle fragile et fort où la marionnette s’enroule dans les puissants éléments qui l’environnent, un océan démonté suivi d’un sauvetage, un déracinement forcé et une errance sur des routes aujourd’hui malheureusement encore empruntées. Avec Rebetiko le passé se conjugue avec le présent tout en continuant à interroger l’Histoire, qui sans cesse se répète.

Brigitte Rémer, le 2 décembre 2022

Avec – marionnettistes : Irene Lentini, Magali Jacquot – compositeur et musicien : Nicolo Terrasi – régie : Nicolas Schintone – construction : Demy Papada, Dimitris Stamou – Cie Merlin Puppet Teatre : marionnettes et accessoires – Panos Ioannidis, laterna – Sylvain Georget, Patrick Vindimian (structure) assistés de Mara Kyriakidou – création lumières : Jean-Louis Floro – vidéo : Shemie Reut – musique : Katrina Douka (voix), Christos Karypidis (oud), Tassos Tsitsivakos (bouzouki) – costumes : Stéphanie Mestre

Du 22 au 30 novembre 2022, au Mouffetard/Théâtre national de la Marionnette, 73, rue Mouffetard – 75005 Paris – métro : Place Monge – site : lemouffetard.com – tél. : 01 84 79 44 44.